Swaggering Resonance dans Le Boudoir (1994-2006)
Swaggering Resonance (Résonance bravache) évoque Le Boudoir, une soirée lesbienne sexy qui s’est tenue annuellement pendant 13 ans à Montréal, principalement au Lion d’Or, un cabaret Art déco. Il offrait des performances sur scène ainsi que des activités carnavalesques hors scène, incluant un kiosque de tatouage, des lectures de tarot et un peep-show, et s’achevait sur un party. C’était une soirée costumée et chic, où régnait le travestissement et à laquelle les «messieurs» pouvaient accéder seulement accompagné∙e∙s de «dames».
Swaggering Resonance est une exposition conçue par Miriam Ginestier (productrice du Boudoir) et Itzayana Gutiérrez Arillo (Itza), qui a découvert l’évènement en 2018 en commençant à travailler sur l’archivage des matériaux du Boudoir. En tant que co-commissaires, nous adoptons des points de vue radicalement divergents, informés par différentes logiques, communautés et pratiques d’écriture. Au cœur de ce champ de friction transgénérationnelle, nos esprits ont convergé lors de dialogues à deux et plus, où nous avons pu improviser, développer une confiance mutuelle, se bousculer avec tendresse et élaborer nos choix de mots.
L’exposition présente une sélection d’images (16 parmi une collection de 57) provenant des flyers promotionnels du Boudoir, à l’origine imprimés recto-verso mais dont seule la page de garde est exhibée. Elle s’enrichit d’un tissage de témoignages écrits et oraux recueillis lors du printemps 2020. Flyers et témoignages sont placés dans deux aires de l’exposition: Queer Nostalgia (Nostalgie queer) et Haunting Objects (Objets envoûtants). Enfin, l'exposition se déploie aussi dans L’Archive, une zone où des récits, des vestiges numérisés, ainsi que des conversations, peuvent être consultés.
Quand Miriam a partagé avec Itza des traces matérielles et ses souvenirs personnels liés au Boudoir, iel a ressenti une «résonance bravache». Cette transmission a engendré des croisements spatiotemporels : Itza était adolescent∙e au Mexique lors du premier Boudoir : quant à Miriam et d'autres participant∙es du Boudoir, les réminiscences de leur vie de jeunes adultes au tournant du millénaire a provoqué une vague de nostalgie queer.
Le Boudoir a connu deux époques : une première, de 1994 à 2001, quand le spectacle sur scène mettait en scène une douzaine de «tableaux» de cabaret, et une seconde, de 2002 à 2006, quand une pièce de vaudeville de 40 minutes s’est ajoutée à la soirée. Lors de cette deuxième période, le public est passé de 475 à 633 personnes, et le budget de 5 000$ à 20 000$. L'évènement s'est alors associé avec Out Productions et a obtenu des fonds de l’Imperial Tobacco. Après 11 ans, la popularité du Boudoir a dépassé les capacités du Lion d’Or, forçant son déménagement au Théâtre Corona en 2005 puis au National en 2006. Finalement, son développement extraordinaire—et le travail supplémentaire engendré par celui-ci—a contribué à son déclin.
Dans cette rencontre artistique et curatoriale, nous conservons précieusement les traces imprimées des deux périodes. Dans l'exposition, le public est invité à observer les transformations des flyers du Boudoir, en termes de couleur, de résolution d’image, de qualité de papier et de coordonnées (numéro de téléphone, courriel, site web). Les protagonistes figurant sur ces archives sont pour la plupart inconnu∙e∙s, on imagine que ce sont des femmes queer, tirées des cartes postales de la Belle Époque et des Années Folles. Notre intention est de les honorer et de mettre en valeur l’allure du Boudoir, tout en abordant ses dimensions envoûtantes (voire troublantes).
Swaggering Resonance
Le Boudoir captive. Il nous enchante par sa manière fantastique de prétendre que le passé appartient à l’avenir queer. Cette illusion vibre encore aujourd’hui et transmet une résonance bravache. Swaggering Resonance commence avec des images émouvantes de chair performative qui nous transportent vers des atmosphères sensorielles. La résonance crée un espace pour que le style, la fierté, la non-conformité de genre, le côté sexy, les imaginations dansantes et l’incarnation puissent tous se connecter.
Imaginatif, espiègle et avant-gardiste, Le Boudoir s’ancrait également dans des représentations coloniales, des imaginaires orientalistes et des dynamiques de ségrégation raciale du cabaret et de la culture queer en Amérique du Nord. La plupart du temps, les artistes sur scène étaient blanc∙che∙s pour un public principalement blanc. Les flyers représentaient une majorité de modèles à la peau claire, tandis que les personnages de couleur étaient imprégnés de la blancheur des publics et faiseurs d’image. Avec le temps, la désinvolture de ces images s’est brouillée, mais nous voilà, réanimant des sensations irrésolues et déployant des inquiétudes communes. Nous partageons ici une intention de sauvegarder une histoire très singulière pour nous et les générations à venir.
En ces temps troubles, au bord de l'effondrement du contact physique et du tissu social, il devient important d’évoquer de façon critique l’intimité de la performance, la résonance du être ensemble et la jouissance de veiller tard entre ami∙es. Face aux graves injustices de nos jours, cette exposition se départit de toute notion de nostalgie comme lieu de refuge pour la mélancolie blanche, s'alliant au queerness, tel un tissu numérique transracial, multi-genre et transgénérationnel.
Avec Swaggering Resonance, nous aspirons à regarder à travers le prisme de perspectives expansives, ouvertes à des positions et des émotions radicalement différentes. Les matériaux et témoignages que nous présentons, feront une place, espérons-le, à des histoires charnues, des échanges critiques et une construction créatrice face aux troubles d’appartenir, ou non, aux vastes expériences du temps queer.
–– Itzayana Gutiérrez Arillo et Miriam Ginestier, 2020
I had never seen anything like it. It was like a carnival for lesbians. Kissing booths, lesbian erotica at its best. Trapeze, half naked women. I thought I died and was in lesbian heaven. Sandra
If anything the Boudoir reinforced my ideas around art and life. How for me art takes on many forms and is in all of us. (...) Giving me some kind of hope in humanity...away from the usually homogeneous dissemination of art in life. Nathalie
My most vivid stage memory is my own - that very first night that I was asked to fill in with the Mambo Drag Kings introducing the MC - Johanne Cadorette. I was terrified. I didn't know what I was doing and felt incredibly self-conscious (especially because it was a lesbian audience). Our number was a hit - my little part was a hit - and it truly changed something in me. I felt confident, high, giddy as though I had landed in OZ - I found a community, a family in le Boudoir. Cindy Mancuso. a.k.a Tommy Boy
I remember audiences laughing, listening, and holding their breath. I remember people talking, and shushing, and the air thick with excitement at being there. (...) Someone yelled, “en français!!”, which was so awful to be shamed onstage at an event that I loved so much. (...) and I remember being onstage and looking into the crowd and seeing shadows because of the glare of the lights. Dayna
I remember in early 2000 when I met a canadian lesbian from montreal. She told me life for lesbian there was so great. She had a poster of Le Boudoir that reminded me a Jules Cheret Poster (I studied poster from the 20s in West Europe culture) and I felt it was so precious. I even rarely asked her to keep it after i took over her apartment in itaewon (heading-cheon) district in seoul. it gave me the goal to go see that show.” Kimpo Kim
Le Boudoir était l'événement le plus unique auquel on pouvait assister. Il n'y avait pas d'équivalent. Pour moi c'était un incontournable. D'avoir un thème "cabaret années 1920" ou la grande majorité des lesbiennes se costumaient, tout cela apportait à la soirée, cette magie de retourner dans le temps... On s'y croyait! Isabelle
The old Lion d'Or felt so sexy and sophisticated. I remember wandering around after the show, between the tables. Everyone was dressed up. Alot of silky, sexy dresses, women in suits. Everything felt vibrant. I looooved getting dressed for those nights. Shelagh
One year we all went as sailors on leave. Another year I went as Sloberdon Lotsadik, a bisexual playboy. When the Boudoir was stretched to two nights I dressed up as Gino a very hairy and smarmy guy and the next night I dressed up as Gina a very sexual and big haired woman. (...) We knew we had a special night that no one else had. The night provided us with a safe and fun space to play around with gender and we felt our sexuality was celebrated. Leni
Je me souviens i was so excited in the queue front of national, where so many lesbians, so freely being themselves. smiling, being loud, being 'sans complexe' was giving me an energy that was so new, so liberating. Kimpo kim
[Events] that focus on lesbians no longer exist at least in the sprawling metropolis (not Montreal) in which I presently live. Instead, lesbians are included in 'queer women and trans' or 'queer' events. I have certainly appreciated seeing more racial diversity and more participation by trans women, but everything feels a bit fraught. It feels (to me) as though queer community organizers are scrambling to pull queer racialized and indigenous artists into their events so they do not look bad -- as opposed to having really engaged with the work of a variety of different artists and pulled together something that is thematically interesting. Anonymous
Kinda felt like being in another era with the decor, the show and the way people were dressed and tables were set. Nat King Pole
I remember dancing after shows—I remember great djs. I remember getting my tarot cards read. I remember lesbian gossip and drama, some of which I was part of. (...) I remember friends dressed up in their finest, I remember some getting dumped on the dance floor while others made out and snuck off to quiet corners returning later, disheveled and ready for a slow song or a drink at the bar, far from the person they returned with. (...) I remember looking at people to see who were with whom, and trying to remember whom they’d all been with the year before. Dayna
I have longing for that sense of belonging and at the same time find comfort in that belonging to a queer lineage. It feels different now that I am in my fifties. I remember feeling deep nostalgia when I was younger and we were in the heart of le Boudoir years. Shelagh
The venue was spectacular (le Lion D'or) - it was a throw back in time. It felt special and different. The energy of people hanging out outside the door having a cigarette, talking, laughing, looking sexy, being sexy, checking each other out, flirting, ….the energy was palpable. You could feel everyone's excitement ….almost hard to contain. I can remember the changing room - so hot, crowded but filled with laughter and excitement and nervousness. Cindy Mancuso. a.k.a Tommy Boy
it was great to feel like I was part of a history of lesbians who came before me and fought for what I have and that is missing for me today. I feel I’ve lost my community in many ways. We have no more spaces to meet. Nat King Pole
The way in which the Boudoir was unique was in its capacity to capture that moment in time while offering something that was also timeless, something that took a long view of lesbian culture and history and brought it into a vibrant present. Aaron Pollard
Les corps....et les regards qui caressent et qui passent comme des brises…. Féliro la fée Ross
These were also golden years for queer activism and culture in Montreal. There was so much to do! I think we were splintered off into groups quite a bit - there was definitely a French - Anglo divide in the lesbian scene (...) I found I was surrounded by women who were very creative, funny, politicized and smart and who knew how to have a good time. Joanne
I remember backstage: I remember sharing hairspray, lipstick, mascara, and rum. I remember tying up corsets and being zipped into vinyl, partially naked bodies lounging and relaxed while others hurried into the next costume change. Dayna
I am incredibly nostalgic for the le Boudoir days - I miss the magic, I miss coming together as a community for a wonderful shared experience. I miss seeing the old faces - some I would only see once a year. For me there is a big hole.Cindy Mancuso. a.k.a Tommy Boy
It helped me look closer at the problems in romanticizing vintage imagery and performance as much of it was cultural fetishism. I often felt like it wasn't my place to embody certain things even if I loved them, like culturally specific dance forms. I'm glad that I listened to my gut on those thoughts and drew the lines. Shelagh
I do remember questioning choices around cultural appropriation, though we didn't use the term at that time. Sometimes I was the only one uncomfortable and was outnumbered by my fellow performers who thought I was overreacting. Also when I did a peepshow I remember being surprised by the comments of some women I could hear through the velvet curtain. I hadn't felt uncomfortable like that before except from men. Mostly it was happy, consensual exhibitionism but I clearly remember some "icky" feelings too. Shelagh.
These images are meant to transport you to some imaginary place, right? this imaginary orient. If you look at this object, it is a postcard size, right? and that carries a kind of intimacy as opposed as seeing it on a poster, and that just amplifies the fact that the imaginary space is precisely that harem, right? that heterotopia that is taboo or secretave, clandestine. Rose
Josephine was a great performer and cultural figure, but viewing her performance images is like trying to keep balance on a knife's edge. Adrienne
Like many people at the time I grew up not knowing anyone who was out as a queer person. So discovering my sexuality during that time was an isolating lonely experience. Like many people I remember the first time I set foot in a queer space and finally feeling the sense of belonging. The Boudoir's imagined past gave us a sense of historical belonging as well. We were there getting together and having fun just like the many generations of lesbians before us. Leni
Dans les années 90 la discrimination était palpable et plusieurs d'entre nous ressentions un devoir de revendiquer nos droits, d'afficher notre existence. Le gay pride était un geste politique et il fallait y participer. Isabelle
I remember noting that it tended to draw on the same (almost entirely white) artists that moved in some of the same social circles and had a certain white indie aesthetic. I do not remember anything being super egregious -- and I am not an uncritical person. Over 30 years of living in dyke communities, I have certainly witnessed (and gently disagreed with folks about) anti-semitism, fat phobia, butch phobia, sexism, hostility towards bisexuals, and cluelessness about race, class, disability, and trans issues. Perhaps I wasn't critical enough of Le Boudoir -- mostly, I just felt so grateful for it. Anonymous
Short answer, no. I don't doubt that this happened but my feeling, in general, was the opposite. Certainly, the context in which it was produced would have engendered a very white bias. What I saw, in terms of programming, was an attempt to address this. These things are always fraught and I am certain that there were people who felt excluded. Aaron Pollard
Seen through contemporary eyes, this image evokes a glorification of the genocidal treatment of Indigenous people. It needs to be reckoned with. The culture we existed in had only marginal representation outside of whiteness at the time, and while I think that the BIPOC members of our community were celebrated and truly appreciated, I didn’t have a full understanding of the extent of my own privilege and the ignorance it allowed. Annabelle
While there was some diversity, le Boudoir was a predominantly white event - not much different from other events at that time - This I was aware of at the time. Cindy Mancuso
It is interesting in how it relates to the history of Montreal and how there were segregation policies for black and white clientelle drinking establishments, for example, but also performing at clubs. There is a question of black minstrelsy in Montreal. And I'm thinking, this is an archive that's being excavated to bring it back to 1999. But within the time that this might have been taken and 1999, there is this huge amount of history of Blacks in Montreal, Black culture in Montreal and the Jazz fest. For me, I am just flummuxed, I am stupified about how these images can circulate this recent date, not long ago. Rose
L’Archive
Bienvenu∙e à l’Archive, un répertoire dédié à quelques sources matérielles et autres documents éphémères associés au Boudoir, offrant un utile complément d’ « arrière-scène » à l'exposition. Vous y trouverez des enregistrements audio de discussions de groupe en versions intégrales (À écouter), des questionnaires et d’autres écrits en format PDF (Souvenirs), une sélection de documents numérisés issus des archives administratives de Miriam (Paperasse) ainsi qu'un lien vers le site web éphémère du Boudoir (Wayback Web).
Nous espérons que cette collection donne davantage de sens au labeur invisible et infini consistant à s’immerger dans des productions artistiques telles que Le Boudoir et cette exposition virtuelle. Ceci n’est qu’un aperçu d’une plus grande collection, que nous espérons intégrer un jour à un fonds d’archives professionnel.
Cliquez sur les liens ci-dessous pour afficher chaque document.
Souvenirs
Time Travel at Le Boudoir
Aaron
Annabelle
anonymous
Chris
Cindy a.k.a Tommy Boy
Dayna
Féliro la fée
Isabelle
Johanne
kimpo kim
Leni
MCP
Mimi
Nat King Pole
Nathalie Di Palma
Sandra
Sasha La Photographe
Shelagh
Wayback Web
Une archive numérique du site web de Le Boudoir en 2006
Paperasse
1994 Le Boudoir documents numérisés
1998 Le Boudoir documents numérisés
2001 Le Boudoir documents numérisés
2002 Le Boudoir documents numérisés
2005 Le Boudoir documents numérisés
2006 Le Boudoir documents numérisés
Le Boudoir stats en cours.xls
Le Boudoir documents dégradés
À Écouter
Conversation 88" avec Lili, Nathalie, Lamathilde, Isa, kimura, Julianne, Miriam, Itza (en français)
(Transcription)
Conversation 59" avec Elana, Annabelle, Robin, Dayna, Deb, Miriam, Itza (en anglais)
(Transcription)
Conversation 50" avec Rose, J Lo, Lo J, Itza (en anglais)
(Transcription)
Art, Sex and Peace (chanson pour la performance La Flor de la canela en Grèce) - musique par Annabelle Chvostek, paroles par Miriam Ginestier
La Flor de la Canela par Sonia y Myriam
Le Boudoir a chevauché l’ère analogique et l’ère virtuelle. Ses riches archives, volumineuses et partielles, incluent d’importants vestiges matériels, actuellement entassés chez Miriam dans des boîtes et des valises, ainsi que des fragments de documents numériques qu’hébergent son ordinateur personnel et internet. Voici un survol de la collection complète :
Documents imprimés
Les documents imprimés du Boudoir comprennent des flyers, des affiches, des programmes et des billets, dont les images proviennent de cartes postales, de livres et de revues. Les premières années, la mise en page des flyers et des programmes était effectuée aux ciseaux, à la colle et sur une photocopieuse. Plus tard, la mise en page a été réalisée sur QuarkXpress, mais aujourd’hui les fichiers numériques sont malheureusement tous dégradés. En 2018, la collection presque complète de 57 flyers distincts, 17 affiches et 13 programmes (certains en plusieurs exemplaires, d’autres seulement à l’état de maquette) a été restaurée, cataloguée et conservée dans des boîtes d’archive par Itza.
Documents administratifs
Les documents administratifs comprennent des budgets, des listes de tâches et de contacts, des calendriers de production, des notes et idées chorégraphiques, des instructions pour les travailleur∙euse∙s, des horaires de bénévoles, des dossiers de presse, des coupures de presse et, dans les dernières années, des demandes de financement. L’évènement prenant de l’âge et de l’ampleur, les dossiers prennent à leur tour du volume et ne sont plus stockés que dans une seule boîte de rangement. La plupart des équivalents numériques de ces documents sont dégradés et ne peuvent plus être consultés. Mystérieusement, il n'existe presque aucune trace –matérielle ou virtuelle– de la deuxième édition de 1995.
Documentation des performances
Le Boudoir appartient à une époque où les moyens et les possibilités d’enregistrement étaient limités. Des treize éditions, seules cinq bénéficient d’une documentation photographique et sept d’un enregistrement vidéo. Bien qu’une vidéographe ait été recrutée pour chaque édition du Boudoir, une grande partie de la documentation a été perdue, à cause de problèmes techniques durant l’évènement ou suite à une disparition ultérieure. Des cassettes Hi-8 et Mini-DV, entreposées dans une boîte à chaussure, ont été numérisées vers 2010, mais les CD ou disques durs ont été perdus par la suite, probablement lors d’un cambriolage en 2014. Dans les premières années, la photographie était déconseillée par respect pour la vie privée des invité∙e∙s, mais aussi pour préserver l’intégrité du spectacle vivant et protéger les artistes des distractions occasionnées par les clics et les flashs des appareils photo de l’époque. Dans les dernières années, l’usage des appareils numériques s’étant généralisé, Le Boudoir a travaillé avec des photographes officielles qui ont abondamment documenté l’évènement. Il existe quelques photos des premières éditions, grâce à quelques photographes invité∙e∙s ou rebel∙le∙s.
In the early years, photography was discouraged out of respect for patrons’ privacy, to preserve the integrity of the live performance, and shield performers from the distracting click and flash of indoor photography of the time. In later years, once digital cameras were ubiquitous, Le Boudoir worked with official photographers generating abundant documentation of the event. Some photos of early editions exist thanks to some invited or renegade photographers.
Vestiges en vrac
D’autres archives ont été conservées sur la plateforme Wayback Machine : leboudoir.org (2005-2006), ainsi que sur mimproductions.org pour les évènements de Miriam (2007-2010). Trois courtes vidéos créées pour Le Boudoir, avec en vedette l’alter ego de Miriam, Fannie Nipplebottom, sont distribuées par G.I.V. (Groupe Intervention Video). À cela s’ajoute une valise contenant sous-vêtements, taies d’oreiller, aimants, livres « pop up » et autres produits invendus; valise qui sert aujourd’hui de table d'appoint chez Miriam. Les archives courriel de Miriam contiennent des sollicitations d’artistes, des négociations informelles, ainsi que la « Mimlist », une infolettre mensuelle envoyée, à son apogée, à 2 400 adresses. Commencée en 1997, cette liste de diffusion est plutôt hors fonction depuis 2012, suite à la popularisation de Facebook et la fin de Meow Mix, bien qu'elle ressuscite à l’occasion!
Archives de l’après-évènement
Au printemps-été 2020, les archives du Boudoir se sont enrichies de trois heures d’histoire orale et de 20 réponses à des questionnaires, étoffant ainsi notre démarche de conservation. Des fragments de cet ensemble apparaissent dans les aires d’exposition Objets Envoûtants et Nostalgie Queer, et les versions intégrales sont disponibles ici sur L’Archive, avec la gracieuse autorisation des contributeur∙rice∙s.
Archiver est en partie conserver et en partie se défaire. Ces artéfacts aident à traiter le temps qui passe, ainsi que les artifices de la mémoire et de la perspective. Interagir avec eux aujourd’hui leur confère un nouveau dessein : regarder derrière nous et devant nous avec un soin tout critique. Paradoxalement, se défaire de ces vestiges devient un moyen de les préserver : en les préparant à une éventuelle acquisition, nous augmentons leur chance de survivre à leur mortelle créatrice. Cependant, papier et archives numériques sont également fragiles et mortels. Nombre de lacunes dans la collection sont des pertes involontaires, mais quelques-unes ont été désirées. Certain∙e∙s d’entre nous préfèrent laisser passer le passé, et ces brèches sonores sont sacrées et éprouvées. Les archives sont par nature crevassées : les fragments racontent des histoires multiples mais jamais complètes.
-- Miriam Ginestier et Itzayana Gutiérrez Arillo
Crédits
Swaggering Resonance est une exposition développée en collaboration avec Cabaret Commons, un lieu de rencontre, un dépôt numérique et une encyclopédie encyclopédie d’anecdotes pour les artistes trans-féministes et queer, les militant·e·s, le public et les chercheur·euses.
Collaborat-eur-rice-s
Commissaires : Miriam Ginestier et Itzayana Gutiérrez (voir biographies ci-dessous)
Conception et programmation du site Web : Christopher Willes
Redonner vie à une police de caractère Art nouveau : Aldo Arillo
Polices de caractère Latinx : Nodo nodotypefoundry.com
Conseils muséographiques : Zoe De Luca
Cogestion de rédaction à Cabaret Commons : Stephen Lawson
Coordination des expositions à Cabaret Commons : Nelanthi Hewa
Traduction : Gersande La Flèche, Kim-Sanh Châu, Laurence Coudart, Nathalie Claude
Témoignages oraux et écrits : Aaron, Annabelle, Anonymous, Chris, Cindy a.k.a. Tommy Boy, Dayna, Deb, Elana, Féliro la fée, Isabelle, Itza, J Lo, Johanne, Julianne, kimpo kim / kimura, lamathilde, Leni, Lili, Lo J, MCP, Mimi, Miriam, Nat King Pole, Nathalie C, Nathalie D, Nathalie F, Robin, Rose, Sandra, Sasha La Photographe, Shelagh
Le Cabaret Commons est dirigé par T.L. Cowan and Jasmine Rault
Les flyers exposés font partie de la collection personnelle de Miriam Ginestier, et ont été archivés par Itzayana Gutiérrez.
Contact : leboudoirarchives@gmail.com
Biographies des commissaires
Miriam Ginestier a poursuivi une carrière multidimensionnelle en tant qu’artiste et travailleuse culturelle. Co-directrice du Studio 303 à Montréal, elle soutient des artistes expérimentaux à travers un programme de résidences, d’ateliers, de rassemblements et de performances non-conventionnelles. Profondément consacrée à l’émancipation artistique et au développement communautaire, elle est la créatrice de Edgy Women (un festival qui a duré 23 ans, entre 1994 et 2016) et de Queer Performance Camp (depuis 2016). Miriam est aussi productrice indépendante de divers évènements pour les communautés lesbiennes et queer montréalaises, incluant les cabarets Le Boudoir (annuellement, entre 1994 et 2006), Meow Mix (mensuellement, entre 1997 et 2012), le Festival Queer Tango de Montréal (2013-2017) et, depuis 2017, Hot Flash, une mini-party pour les TransPédéGouines (d’un certain âge) et leurs ami∙e∙s.
Itzayana Gutiérrez Arillo est doctorant∙e dans le programme de Communications à l’Université McGill. Iel est détenteur·trice d’une Maîtrise en Histoire de l’art de la Universidad Nacional Autónoma de México (UNAM) et d’une Licence en Histoire culturelle de la Universidad Autónoma del Estado de Morelos (UAEM). Sa thèse de doctorat se penche sur la violence graphique dans les bandes dessinées latino-américaines et sur la manière avec laquelle la culture de l’imprimé propage des champs affectifs exceptionnels, véhiculant le racisme, le totalitarisme et le génocide. Son dernier travail de conservation muséologique s’est déroulé avec l’équipe de «Tornaviaje : La Nao de China y el Barroco en México, 1565-1815», au Barroco Museo Internacional (BMI). Iel a co-organisé Le Grand Weekend Tango Queer Montréal (2018-2019) et, en tant que chanteur·se de tango, cultive la recherche-création liant les ontologies fantomatiques et le grand deuil.
Queer Nostalgia / Nostalgie Queer
Le Boudoir a mis en scène une version lesbienne du tournant du millénaire, contrastant avec le bourdonnement « techno » de la vie nocturne de l’époque. Se déroulant de 1994 à 2006 dans des cabarets historiques de Montréal, l’évènement excavait les formes d’un glamour lointain, inspiré par l’ère Art Nouveau et la non-conformité de genre et de l’inventivité artistique des années folles.
Ce badinage avec le passé était libre et ajoutait texture et ambiance à la soirée. À travers les mots d'artistes participant à cette exposition et le court essai Time Travel in Le Boudoir (voir Archives), nous commencerons peu à peu à plonger dans la manière dont ce scintillant manège de références a influencé la scène.
Quand aujourd’hui nous regardons les flyers du Boudoir, ceux-ci véhiculent un passé imaginaire vieux de cent ans, invoquant la soif d’un ancrage collectif dans l’histoire, et une fascination filiale pour des ancêtres choisi∙e∙s. Un grand nombre de celles et ceux qui ont vécu Le Boudoir se languissent encore du souvenir d’un passé d’il y a quelques décennies. La nostalgie queer s’empare de l’imagination une fois de plus, et l’acte de regarder le passé pour transmettre quelque chose de nouveau nous amène ici.
La nostalgie queer est une affection collective mélancolique pour ce qui n’existe plus, mais peut encore provoquer nos imaginaires. Elle s’apparente à ce court instant de découverte d’un objet que vous n’avez pourtant jamais possédé et que vous retrouvez enfin, ou à la résistance flexible nécessaire pour combler l’écart entre les traditions qui vous interpellent et la présence de votre réalité. Elle réconforte l’impatience de trouver dans le temps des traces vis-à-vis de soi-même; elle cartographie l’inventaire de la perte qu’il faut réincarner, tout comme les apparitions d’anciens spectres qu’il faut protéger et déterrer. La mémoire et l’imagination sont conspiratrices. L'une ne peut exister sans l’autre, et les deux sont façonnées par des fragments de permanence et d’effacement, de curiosité et d’un certain regard.
Les queers et lesbiennes continuent à être effacé∙e∙s de la société dominante, et sont souvent invisibles dans les récits des traditions culturelles. Mu par la nostalgie d’appartenances profondément ancrées dans le temps, le fait de passer par des tunnels et des fossés de transmission d’un passé imaginé queer et lesbien offre une base. Sentiers et fossés peuvent être empruntés et animés à tout moment. Les positions d’appartenance, de regards en avant ou en arrière sont multiples, et l’occasion d’honorer le passé accompagne le sentiment de joie, de deuil, de réparations et de résistance.
–Miriam Ginestier et Itzayana Gutiérrez Arillo, 2020
Glittery Picking / Cueillette étincelante
Alors que dans les librairies je fouillais les cartes postales, à la recherche d’images pour Le Boudoir, mon regard a été attiré par des lueurs queers : des images de duos, des représentations inhabituelles de genre et de franche sexualité. Les femmes de cirque de la fin du XIXe siècle et début du XXe m’intriguaient. Je me prenais à rêver à cette sous-culture dans laquelle iels vivaient : un monde à part, où des personnes hors normes, aux corps non-conventionnels et/ou aux talents extraordinaires, pouvaient mener une vie décente, voire somptueuse.
Les cirques ambulants ont ouvert la voie à l’acrobate Maud Wagner, qui s'est réinventée en tant que première artiste tatoueuse aux États-Unis, ainsi qu’à la géante Madame Abomah en tant que saltimbanque célébrée autour du monde puis brièvement directrice de sa propre troupe itinérante (voir les portraits de l’exposition). J’étais consciente que ce monde renforçait la fétichisation et l’objectivation, et impliquait une bonne part de cruelle exploitation; et cependant, passant au prisme de mon regard romantique, ces images de femmes du cirque étaient manifestes d’intrépidité, d’indépendance et de talent artistique alternatif.
Les femmes masculinisées de cette exposition ont eu sur moi le même effet, mâtiné cependant d’une perspective de classe. Tandis que l’anonyme et « virile » artiste de burlesque et la femme qui tient son sein incarnent une confiance effrontée, la figure de la poète androgyne Renée Vivien arbore des tendances d’aristocratie distinguée. Cette dernière semble appartenir à un autre monde historique imaginaire : celui de l’héritière tragique et ouvertement lesbienne, exposée aux excitants salons littéraires parisiens de la Belle Époque (expression de nostalgie inventée après la Première Guerre Mondiale). Le fait qu’elle soit décédée à 32 ans et qu’elle ait lutté contre l’alcoolisme et l'anorexie n’affaiblit en rien ma vision romancée de Vivien.
Enfin, mon attrait pour les duos souligne mon penchant pour les sens cachés. Pour ma part, un sous-texte lesbien peut être déniché à peu près partout. Ces images de femmes jouant aux échecs, ou flânant bras dessus bras dessous ou encore se baignant, impliquent, dans ce nouveau contexte, qu’il se passe davantage de choses que ce que l’on voit au premier regard. Cette interprétation m’apparaît comme un geste d’archéologie fantaisiste et amateur, un contre-effacement.
Certaines de ces images de femmes étroitement liées sont explicitement érotiques : ici, une femme demi-nue, en chemise boutonnée et cravatée, soulève le jupon de sa compagne; là, une matrone quelque peu virile et entièrement vêtue est érotisée par une femme nue sur ses genoux. Même si j’imagine que ces images n’ont pas été créées pour des lesbiennes, la mise en scène et les accoutrements interpellent mon regard –queer. Des vêtements émanent à la fois une pudeur (les parties du corps dissimulées le sont parfaitement) et une sexualité comme augmentée (le genre non conforme). Ceci, contrastant avec une complète nudité et l’entrejambe dénudée, renverse de façon radicale et ludique l’ancien stéréotype de la lesbienne sage et asexuée –ou tout au plus sensuelle–, qui persistait encore dans les années 1990. Ces images disent que les apparences peuvent être trompeuses. Non seulement les lesbiennes existent, mais elles ont aussi une vie sexuelle torride.
Les protagonistes en solo affichent une assurance transgressive, alors que les duos suggèrent l’intimité et la complicité. Il y a aussi quelque chose dans ces flyers qui nous parle de l’entrelacement des formes d’art savantes et populaires, également mis en scène dans Le Boudoir. Contemplées dans leur ensemble, ces images vintages peuvent éveiller un sentiment à la fois d’aspiration et d’appartenance à un lignage queer.
–Miriam Ginestier, 2020
Objets envoûtants / Haunting Objects
Les objets envoûtants sont habités par de bouillonnants souvenirs. Visités par des spectres et des spectateur∙rice∙s, ils nous arrachent les entrailles avec des mots indicibles. Nous les touchons mais ils nous attrapent, altérant nos corps avec leur dépôt de sensations et de signes.
Le Boudoir réutilisa des cartes postales et des portraits diffusés à l’origine entre 1870 et 1940. Ceux-ci exposaient une chair genrée, accessoirisée de gestes, de costumes, de postures et d’arrière-plans. Ces détails formaient une matière provocante, «exotisant» les imaginaires intimes dans une période riche d’indulgence envers la blanchitude et l’orientalisme.
Au temps où fleurissaient les daguerréotypes, les portraits devinrent un souvenir de chair sur papier qui en conquit plus d’un∙e, et les cartes postales proliférèrent massivement. Les productions les plus fantasques livraient de petits objets aux spectateur∙rice∙s désireux∙ses de regarder les autres sous la forme d’ornements et d’artifices. Le format était conçu pour la collection, et les imaginaires intimes se retrouvaient dans les poches et dans les mains. Les conditions dans lesquelles est apparue l’orientalisation des autres, faits de papier, les modélisèrent comme déviant∙e∙s, primitif∙ve∙s et sauvages; parfois, ils étaient explicitement hantés par les spectres de l’impérialisme, de la colonisation, de la servitude et du danger. En ces temps-là, les portraits s’achetaient et s’échangeaient par courrier. Aujourd’hui, ils appartiennent au répertoire populaire d’images et au vocabulaire de la culture imprimée du cabaret.
La sélection suivante des flyers du Boudoir rediffusa ce répertoire entre 1996 et 2003, en direction d’une clientèle lesbienne. Quand je les ai trouvés, ils me prirent douloureusement aux entrailles. Mon imagination s’est efforcée de saisir, de comprendre et de nommer les sentiments suscités par ce que je regardais. Ce faisant, tenter de trouver les mots avec la communauté d’où procédaient les images et de garder en perspective la scène dont elles faisaient partie, s’avéra un exercice inestimable.
Vous êtes invité∙e à contempler cette sélection et d’y prendre place avec tout l’éventuel malaise que vous pourriez ressentir. Nous essaierons de négocier une relation entre ce qui vous fait face, ce que vous savez ou ne savez pas encore, vos propres histoires, les mémoires et les images qui se forment dans votre esprit. Avec cet échantillon, nous visons à attirer votre attention au plus près, pour trouver les mots qui parlent de sentiments de colère, de douleur, de deuil et de réparations.
-Itzayana Gutiérrez Arillo, 2020
Dialogue croisé
Miriam: Quand j’ai commencé Le Boudoir, j’étais dans ma vingtaine et nouvelle lesbienne au sein d’une communauté récente de femmes queers. Je voulais écraser le patriarcat, combler le fossé «anglo-franco» et animer la scène lesbienne. Mes efforts pour tenter d’accroître la diversité raciale sur scène, dans la salle et dans les flyers, tout en maintenant l’esthétique qui m’attirait, donnèrent lieu à des réussites comme à des ratés. Itza et moi avons exhumé quelques-uns de ces ratés pour la réalisation de cette exposition. Certes, ce préambule est fortement déplaisant, mais c’est celui qui ouvre ce dialogue que nous devons tou∙te∙s engager.
Considérant quelques décennies plus tard cette sélection de flyers, je parviens encore à comprendre ce qui m’attirait dans ces images. Je me souviens de l’intention qui motiva leur usage, et je reste troublée par ce qu’elles révèlent de l’époque, de la scène, de mon éducation et de la façon dont je perçois et vois le monde. Lorsque je les contemple ainsi assemblées, une avalanche de sensations contradictoires me traverse. Ces images et souvenirs sont autant de vestiges, lourds de l’histoire d’une communauté. Que cela me plaise ou non, ces restes matériels font partie de mon héritage.
Prenons l’image d’Annie Oakley. Annie était une tireuse légendaire, une survivante effrénée qui promouvait l’autodéfense des femmes. Son image a éveillé des réminiscences de mes racines blanches de l’Alabama rural: des films familiaux de ma mère garçon manqué et de ses frères jouant aux cowboys et aux indiens à la fin des années 50; moi-même en dure à cuire pratiquant le tir dans les bois avec mon grand-père dans les années 80. Je voyais Annie Oakley, ma mère et moi-même, telles des filles qui défiaient les rôles de genre assigné et qui disaient à la féminité d’aller se faire foutre. Je voyais Annie Oakley comme une proto-féministe. Et c’est tout ce que je voyais. Révérer les armes à feu ne me dérangeait pas dans ce contexte. Et je n’ai pas vu le tipi jusqu’à ce qu’Itza me l’ait fait remarquer; ou bien si je le voyais à l’époque, ça ne me dérangeait pas. Le colonialisme était un concept que je connaissais à peine et que j’attribuais au passé lointain.
Itza: Ma première réaction à cette carte postale d’une femme armée a été un bref et vif signal d’alarme maximale. J’ai cessé de cataloguer les flyers durant une quinzaine de jours. Je me sentais déçu∙e et quelque peu surpris∙e par le pouvoir d’une image capable de me déstabiliser. Cela m’a pris du temps pour comprendre le choc de me sentir observée par ce fantôme de blanchitude frontalière. Le tipi à l’arrière-plan est supposé s’estomper, mais aussi, et très concrètement, il anime les dynamiques raciales dans les récits épiques de la colonisation. L’ensemble affiche une blanchitude héroïque, armée et légitime, dominant la terre autochtone à conquérir. Parmi les flyers produits pour Le Boudoir, ce tipi en arrière-plan est l’unique référence directe au fait indigène. Cette carte postale incarne un fantôme qui m’est familier; celui des paysages semi-désertiques du nord du Mexique, où mes ancêtres –indiens chinois (indios chinos)– étaient chassés, pour le sport et pendant des générations, par des éleveurs de ranch blancs et armés.
Miriam: L’image du couple de femmes aux seins nus était et demeure l’image la plus dérangeante pour moi. C’était une curieuse trouvaille, combinant nudité, duo et non-blanchitude. Elle n’était pas comme la plupart des photos de ma collection, qui avait tendance à représenter des artistes ou des modèles érotiques états-uniennes ou européennes. Je ne pouvais pas situer ces femmes, mais je savais qu’elles n’étaient rien de tout cela. Je me souviens d’une hésitation: une pensée qui me faisait associer cette image avec l’esclavage. Mais, puisque je ne pouvais pas m’expliquer pourquoi, je me suis reprochée d’avoir fait une association simpliste et raciste: peau foncée + terre lointaine = esclavage. Le malaise que je ressentais à propos de la photographie était éclipsé par le malaise que je ressentais face à ma propre réaction. Je ne me souviens pas avoir demandé l’opinion de qui que ce soit. A la fin, j’ai décidé de l’utiliser. Aujourd’hui, ma réaction viscérale est la même. Ces femmes sont nues mais la pose n’est pas érotique. C’est une forme d’objectivation différente, comme l’affichage d’une propriété. Je souhaiterais avoir fait un choix différent.
Itza: J’étais triste. Ça avait un goût amer. J’avais honte car je n’avais pas le droit de regarder cette image. Une fois encore, il m’était difficile de séparer l’action de regarder du traumatisme suscité par la construction de l’image. La tension et l’excitation accumulées n’étaient aucunement séduisantes, mais violemment envoûtantes. Quelque chose dans mes veines résistait et il devint de mon devoir d’en savoir plus sur ces corps ensorcelés. Leur peau sombre est racialement sexualisée et genrée avec violence. Leur posture, ordonnée pour l’examen minutieux, raconte un regard et un goût informés par les ventes aux enchères d’esclaves, une nudité qui semble s’abriter dans la disponibilité sexuelle des esclaves. Cette peau n’a pas été enregistrée de façon légitime et je cherche encore des ontologies queers qui puissent agencer cette image avec tout le soin qu’elle mérite.
-Miriam Ginestier avec Itzayana Gutiérrez Arillo, 2020